Un rayon de soleil me chatouille le nez et je me réveille en éternuant et je souris ! Depuis cinq ans que je me suis installé ici, je ne réalise toujours pas que le soleil est immuable et que le ciel est bleu comme hier et comme demain. La grisaille et la pluie indissociables de mon enfance continuent à me poursuivre dans mes rêves et dans mes souvenirs. Chaque matin, en ouvrant les volets peu hermétiques de ma paillotte derrière l'hôtel, je remplis mes poumons d'air pur et fragrances tropicales. Des oiseux colorés, encore exotiques à mes yeux, zèbrent l'azur et se réfugient à l'ombre des palmiers. Quand je repense aux quelques moineaux frileux se pelotonnant sur les fils électriques, mon cœur se gonfle de bonheur ! Je n'oublierai sans doute jamais l'humidité persistante des quartiers miniers de mon Ecosse natale. Les pieds mouillés en permanence, la vapeur d'eau qui s'échappait de nos silhouettes quand nous pénétrions dans classe mal isolée ou plus tard dans un pub sombre et enfumé. Ici l'eau est limpide que ce soit les cascades cristallines qui dévalent les flancs du volcan ou le lagon turquoise à peine troublé par le passage de bancs de poissons.
Enfants, l'été, nous allions deux ou trois jours sur la côte où une mer peu engageante déployait cinquante nuances de gris et où s'avançait jusqu'à hauteur des genoux, relevait déjà de l'exploit ! Ici les enfants plongent et dansent avec les dauphins et se rincent dans le ruisseau tout proche. Là bas l'avenir était tout tracé : mineur de père en fils, contremaitre le but ultime, le Graal. Echapper à cette destinée était le rêve de tous : foot ou rugby pour les garçons, chant ou mannequinat pour les filles. Que de déceptions ! Personne n'est jamais sorti suffisamment du lot pour nous servir de modèle.Il faut dire que nos professeurs se contentaient de peu et ne nous poussaient pas beaucoup. Les entraîneurs étaient encore enthousiastes à la recherche du prochain prodige. Evidemment depuis que mon père, ivre, avait jeté la voiture, et nos espoirs, contre un arbre, mon état ne me permettait plus d'entretenir la moindre illusion sportive ! Orphelin, recueilli par un oncle mineur dont les cinq enfants suivaient sans entrain l'ornière de leur avenir, je me suis mis à étudier. Que faire d'autre ici, où si vous ne jouait ni au foot ni au rugby et êtes incapables de danser, vous n'avez aucun ami ? J'avais la réputation d'être rabat-joie (c'est à dire triste) et de porter malheur (puisque mes parents étaient morts). Je savais que mon oncle ne me garderait que jusqu'à seize ans, jusqu'à l'arrêt des versements de l'assurance vie. Je décrochais une bourse et un boulot de caissier et partis étudier à Glasgow, ville triste, grise et pluvieuse. Une fois diplômé en climatisation, conditionné par mon enfance et mon milieu, je postulais "naturellement" pour un poste dans une mine pour la régulation de l'air dans les parties souterraines. Curieusement la découverte de pétrole en mer du Nord changea radicalement ma vie. Le poste que je visais fut supprimé et les perspectives d'emploi dans l'industrie du charbon s'amenuisèrent. Dans le cadre d'un partenariat avec l'école des mines de Saint Etienne, je participai à un forum de l'emploi où un grand groupe hôtelier cherchait des spécialiste de la climatisation pour leurs complexes touristiques du bout du monde, peu de candidats, je fus retenu. Je reçus un complément de formation à Antibes de six mois. Je découvris alors un autre monde, la Méditerranée bien sûr, mais aussi des gens souriants, ouverts et curieux. Je me fis, enfin, mes premiers amis. Après cette période de transition, mon employeur m'envoya ici, une île paradisiaque et isolée dans le pacifique. Depuis cinq ans, je ne me lasse ni du soleil constant, ni du bleu, des bleus plutôt, qui m'environnent. Et pourtant, sur ma table de nuit, ce cliché où un bâtiment industriel hideux se devine dans un brouillard dense : l'entrée de la mine de mon enfance.