Le Couédic était le petit nouveau de la gendarmerie. Tous ses collègues se moquaient consciencieusement du breton et lui refilaient les travaux les plus rebutants. Heureusement Le Couédic était flegmatique et les brimades et autres vexations ne l'atteignaient pas. La mesure la plus courante consistait à le solliciter systématiquement les jours de pluie pour les missions extérieures : planton pour une manifestation quelconque, vérifications de sécurité routière à un rond-point ou un carrefour et ainsi de suite. Mais, depuis quand la pluie gênerait-elle un breton ? Et, c'est, toujours souriant, que le gendarme s'acquittait de ses tâches. Il était juste : sanctionnant les infractions avec clémence mais sans laisser-aller. Lorsque l'affaire des matous commença, ce fut tout naturellement lui qui dût saisir les soixante dix huit plaintes pour disparition. Il se montra attentif à la détresse des enfants ayant perdu un compagnon de jeu et plus encore à celle des personnes âgées pour lesquelles l'absence était un vrai drame. Il prit même l'habitude de passer une fois par semaine, au 4 sis rue de la Poterne, réconforter Madame Dupré, désormais très seule.
Quand la presse, locale, s'empara de l'affaire, le brigadier prit les choses en main et Le Couédic retourna à la circulation. Ses collègues enrageaient et n'avaient aucune piste mais le maintenaient à l'écart des investigations. Le Couédic ne savait même pas s'ils avaient remarqué que toutes les disparitions avaient lieu le week-end. Ce n'était pas évident dans les dépositions. D'autant plus que les plaignants, agriculteurs de leur état, ne savaient pas se montrer précis. Un jour, ils avaient remarqué la recrudescence des souris et des rats dans les granges et autres resserres et, cherchant les deux ou trois chats censés maintenir la population des rongeurs dans des proportions acceptables, avaient découvert leur absence. Ils ne se seraient jamais manifestés si le phénomène n'occupait déjà toutes les discussions ! Cependant tous ceux pour qui le chat était aussi un ami, étaient formels : le vendredi le chat était là et le samedi, il n'y était plus. Le Couédic était lui-même issu d'un petit village, Kermadec en Pluméliau, et avait dû devenir pensionnaire dès le collège. Aussi, si il avait été responsable de l'enquête, ou même simplement, si on lui avait demandé son avis, il aurait orienté les recherches vers les gamins qui rentraient le samedi dans la matinée pour repartir le dimanche en fin d'après-midi. Fort de cette idée, il se mit à observer, les samedis où il n'était pas de garde, les enfants descendant du car. Le village ne comptait que quatre cents âmes, les jeunes suspects n'étaient que six : deux filles et quatre garçons. Il écarta rapidement les filles. La première avait accompagnée sa grand-mère lors du dépôt de plainte et était tout aussi affectée que la vieille dame. L'autre jeune fille, issue d'une famille divorcée rentrait moins d'un samedi sur deux. Pour les jeunes gens, il se renseigna le plus discrètement possible sur leur famille. Les deux plus âgés, lycéens, appartenaient à l'amicale des archets de Moutou et, à ce titre, s'entraînaient tous les week-ends quand ils ne participaient pas à une compétition dans un village voisin. Consciencieusement, le gendarme vérifia qu'aucune disparition de chat n'avait eu lieu dans lesdits villages.
Pendant ce temps la brigade entière piétinait sans aucune avancée et trois nouvelles disparitions avaient été signalées. Les villageois commençaient à se surveiller les uns les autres. Plusieurs rumeurs circulaient : celle d'un fourreur peu scrupuleux ou d'un restaurateur malhonnête ! Plus aucun bistrot, auberge ou autre gargote n'osait servir du lapin ! Même le veau éveillait la méfiance des consommateurs !
Le Couédic avait réduit sa liste aux deux collégiens : Lucas douze ans et Kevin treize ans. Avant qu'il ne puisse resserrer sa traque, la date du mariage de sa sœur arriva. Il avait déposé et obtenu une permission de quinze jours pour aider avant et après la noce. Il reverrait aussi toute sa parentèle et nombre de ses amis. Il partit le cœur léger et plein d'impatience.
Quand il revint, l'affaire était classée ! Plusieurs dénonciations avaient mis en cause les nomades. Un appel anonyme faisait état de miaulement suspect entendu, à plusieurs reprises, aux abords du terrain réservés aux gens du voyage. Un autre témoignait de fourrures, ressemblant à s'y méprendre au pelage du Mistigri de la mère Dupré, observée sur les épaules d'une bohémienne. Un fourreur avait assuré qu'un gitan lui avait proposé un ensemble de peaux de putois un peu trop félines, qu'il avait refusé évidemment. Comme de plus les disparitions avaient cessé, la gendarmerie avait abandonnée toute investigation à ce sujet.
Un jeune corse, Orsini, était arrivé en l'absence de Le Couédic et c'était ce nouveau venu qui se coltinait les corvées. Le breton était désormais considéré comme un vieux de la vieille, bien intégré. De ce fait, il garda ses doutes pour lui et se promit de garder un œil sur les agissements des garnements.