1. Le dix mai, à sainte Austreberthe

    27 avril 20242 minutes

    Le dix mai, à sainte Austreberthe, jour de la fête patronale, une brocante réputée s'y tient. J'étais donc parti pour ce village dès le petit déjeuner avalé. Ma voisine m'avait vanté cette brocante qui, d'après elle, abondait en occasions à saisir. Hélas cette information s'est révélée fausse. Des bibelots élégants et rares étaient bel et bien exposés mais à des prix prohibitifs dépassant largement le budget que j'avais prévu. Ceci dit je ne regrettais pas la balade. Le soleil brillait et, en ce début de printemps, la fragrance des lilas embaumait l'air. L'un des exposants était un antiquaire notable de la région et les badauds s'y agglutinaient. Je me frayai un passage et découvris l'horloge comtoise que je cherchais depuis longtemps. Je pris le risque d'aller déjeuner, espérant qu'en fin de journée les négociations seraient plus faciles. Et effectivement, vers dix-sept heures, le stand était plus accessible. Après d'âpres discussions, j'obtins l'objet convoité pour deux cents euros ! et c'est seulement quand je voulus l'emmener que je me rappelai que j'étais venu à bicyclette.

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  2. Cinq heures sonnent au clocher de l'église de Saint Martial de Combraille

    27 avril 20243 minutes

    Cinq heures sonnent au clocher de l'église de Saint Martial de Combraille, petite ville de villégiature. Marcelin est déjà levé, rasé et habillé. Il a toujours été matinal et bien sûr, l'été, le soleil brille déjà et le village est encore calme. Il prend le temps de lever les trois œufs de ses poules, de leur donner du grain et de l'eau avant de partir pour la boulangerie, seul commerce ouvert aux aurores. A petits pas, appuyé sur sa cane, il arrive en même temps qu'Auguste, son complice de toujours. Lui est venu à bicyclette. Depuis que sa fille Lydie a transformé la maison familiale en maison d'hôtes, Auguste se charge du ravitaillement en viennoiseries et en gros pains de campagne si typiques ! Les deux compères prennent le temps d'échanger quelques nouvelles autour d'un café offert par la boulangère qui les aime bien. Ensuite l'un retourne apporter le petit déjeuner tandis que l'autre, toujours à petits pas, rejoint la boucherie qui vient juste d'ouvrir. Encore une fois, Marcelin a bien calculé son allure, il en est tout fier. Ce matin, il choisit un steak pas trop gros et rentre chez lui. Il croise quelques vacanciers, certains achètent de quoi pique-niquer, d'autres partent sac au dos en randonnée ou en excursion. Les habitués, qui reviennent chaque année, échangent quelques mots avec Marcelin, la météo essentiellement. Bien que proche des stations thermales de la région, le village n'est pas envahi de touristes, juste assez pour apporter animation et espèces sonnantes et trébuchantes sans dénaturer la quiétude du lieu. Marcelin range le staek dans le réfrigérateur et va s'occuper du potager. pas grand chose à faire en cette saison : arracher quelques mauvaises herbes, cueillir du serpolet et choisir une belle salade... Ensuite, pile à treize heures, il déjeune devant le journal télévisé qu'il n'écoute pas vraiment puis, sa petite vaisselle terminée, la sieste l'occupe jusqu'à ce que le soleil soit moins brulant. Comme les autres jours, il va cueillir un bouquet dans la partie fleurie de son jardin. Des marguerites aujourd'hui, les glaïeuls sont encore en boutons. Il va au cimetière discuter avec Eugénie. Il ne lui a pas encore totalement pardonner de l'avoir laissé seul. Tous les jours il lui apporte des fleurs et des reproches ! Enfin aujourd'hui, il a des nouvelles à lui communiquer : Jean, le fils aîné, va venir pour une dizaine de jours et organiser une fête de famille. Les cinq enfants avec conjoints, enfants et petits-enfants. Cinq générations avec l'arrivée toute récent de Loreline sa première arrière petite fille. Certains viennent en caravane, camping car ou des tentes, d'autres logeront chez l'habitant. Pauline a réservé chez Auguste, Lydie est sa grande amie d'enfance. A la maison il n'y aura que Jean, sa femme et les jumeaux restés célibataires. - Ca en fait du bazar ma pauvre Eugénie, et tout ça pour fêter mes quatre-vingts ans !

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  3. Comment voyagerons-nous dans le futur ?

    16 mars 20242 minutes

    Quelles infrastructures dans cinquante ans ? Les actualités sont les mêmes dans tous les journaux : le réchauffement est dû en partie aux transports automobiles. Mais, si les constructeurs ont bien suivi la mode des moteurs électriques et hybrides, qu'en est-il des routes et plus particulièrement de leur revêtement en bitume, asphalte ou autre goudron, tous issus de l'industrie pétrolière ? On peut imaginer un retour aux chemins de terre qui dès le printemps seraient parsemés de tulipes, narcisses et autres fleurs sauvages et seraient bordés d'arbres fruitiers en pleine floraison, incitant, tel un célèbre sous-préfet, à des pauses et à l'écriture de poèmes. Les véhicules utilisés pourraient se déplacer sur des chenilles tout terrain ou sur coussins d'air pour palier aux irrégularités des sols. Pourquoi pas des chars à voile ? Pour les aéroports, eux aussi bitumés, utiliser des tarmacs en terre battue forcerait à privilégier les plus petits avions et à limiter les distances parcourues, ce qui irait aussi dans le sens d'un diminution d'émission de CO2. Les dirigeables auraient-ils une deuxième chance pour remplacer les moyens et les longs courriers ? Il est vrai qu'ils n'ont même pas besoin d'atterrir et peuvent s'amarrer en hauteur sur de grands bâtiments comme l'Empire State Building ! Nos paysages en seraient transformés (suite p10).

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  4. Le monde perdu des Incas

    24 février 20242 minutes

    Machu Picchu (cérémonie XVème siècle)  Lors de l'exposition sur le Machu Picchu, une option en réalité virtuelle était proposée. U peu sceptique, je me suis installée sur le confortable fauteuil et j'ai ajusté le casque qui englobe les yeux et les oreilles. Aussitôt je me suis retrouvée au sein d'une foule bruyante, joyeuse et bien habillée. Chacun, chacune, portait une tunique blanche, plus ou moins brodée et des sandales de cuir. Les hommes étaient coiffés à l'identique (coupe Mireille Mattieu) et les femmes avaient les cheveux tressés en motifs compliqués. Regardant autour de moi, je voyais les habitations cubiques recouvertes de peintures colorées qui s'ornaient d'un quetzacoatl, d'un jaguar, d'un condor et d'autres animaux que je n'identifiais pas. Sur ma droite la jungle luxuriante, sur ma gauche l'immense temple aux innombrables marches lui aussi peint de couleurs vives et pavoisés de drapeaux qui claquaient au vent. Peu à peu le brouhaha des conversations se tarit alors que le son grave de trompes retentissaient. La foule forma, de part et d'autre d'une allée pavée de grands monolithe, une haie d'honneur. Une procession solennelle s'approchait. Tout d'abord les musiciens soit avec de grandes trompes, soit avec des tambours. Leurs tuniques étaient brodées de motifs géométriques turquoise. Ensuite les notables portés par des esclaves sur des chaises ouvragées. Leurs tenues rivalisaient de broderies, ils avaient tous de gros colliers en or et pierres précieuses et une haute coiffe mêlant plumes et joyaux. Derrière ces riches individus, les prêtres défilaient sur plusieurs rangs, portant une grande cape rouge sur leur tunique blanche et tous masqué par une représentation de leur animal totémique. L'officiant, au centre des prêtres, était lui complètement transformé en grand condor : costume de plumes, grandes ailes et masque de jade avec un bec, un magnifique et menaçant couteau d'obsidienne à la main. Enfin des soldats en armures de plaques métalliques, lance à droite et arc à gauche encadraient un tout jeune homme vêtu d'une tunique blanche simple, sans ornement. Souriant bêtement et visiblement drogué, le héros de la fête titubait entre ses gardes. La foule s'était mise à psalmodier un chant entêtant presque hypnotique. La montée des marches par la procession se fit en un instant. Désormais j'étais aux côtés des prêtres, aux premières loges pour le sacrifice. Du haut de l'escalier interminable, la vue sur le quartier résidentiel et sur la jungle environnante était splendide. Je regardais autour de moi avec émerveillement quand le spectacle se termina abruptement. Je me retrouvais brutalement dans le fauteuil muni d'un casque.

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    2. Pérou
  5. Sainte Véronique

    09 décembre 20232 minutes

    Ma sainte patronne est visible dans quasiment toutes les églises : station 6 du chemin de croix. Une femme courageuse s'approche du Christ portant sa croix et lui essuie le visage. En remerciement le visage u Christ s'imprime définitivement sur le linge ! J'aimais bien cette image de femme compatissante et rebelle à la fois et , bien sûr, j'adorais chercher "ma" représentation dans chaque église visitée, sur chaque chemin de croix parcouru. Je tiens à signaler que certaines églises se contentent de croix très sobres marqués du numéro de la station très décevant ! Pendant mes études, j'ai assisté à une conférence sur la Saint Sépulcre de Turin et j'ai découvert avec horreur que la légende de Sainte Véronique était un leurre. Il fallait comprendre Vera Icona pour véritable image et ce prénom permettait de parlait discrètement du fameux suaire ! En plus une datation carbone a révélé que ce suaire était trop récent pour être celui du Christ ! Apparemment une sœur Véronique a été canonisée, j'ai donc bien une saint patronne... Tant pis, je continue de me référer à la légende et à chercher dans chaque église, la station 6 !

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    2. Religion
  6. Migrations

    18 novembre 20234 minutes

    Je suis fatiguée, le voyage a été long. Mais voilà que je reconnais le village avec ses maisons à colombages. En trois coups d'aile, je rejoins ma cheminée. Dans la cour deux petites filles ravies crient, appellent et me montrent du doigt ! Je me sens accueillie. Je replie mes ailes et inspecte le nid : peu de dégâts depuis mon départ, j'en suis bien contente. Dans les jours qui suivent, je consolide de ci de là, tout en guettant l'arrivée de mon compagnon. Toujours il arrive après moi et toujours il craquète à n'en plus finir. Toujours il a un petit cadeau : une grenouille, du duvet ou une belle brindille. Que j'aime l'Alsace au printemps ! Les habitants sont bienveillants, des lacs et des mares sont entretenus rien que pour nous ! J'ai accepté de me laisser baguer, il y a cinq ans et je ne le regrette pas. Désormais je suis attendue, répertoriée. J'ai même vu mon voyage tracé sur ce qu'ils appellent une carte. Ils sont tout émerveillés parce que mon trajet est identique d'une année sur l'autre. Evidemment ! Depuis la première fois où j'ai quitté l'Alsace pour la Grèce, je connais chaque prairie où me poser, chaque point d'eau où me désaltérer ! Mon compagnon n'est pas bagué et ne le veut absolument pas. Chaque année quand mes amis humains escaladent le toit pour baguer nos cigogneaux, il gesticule et craquète jusqu'à ce que vexé, il s'éloigne enfin. Alors que je vais juste me poser sur la cheminée la plus proche et me contente de les observer. Jamais ils n'ont blessé mes bébés : je leur fais confiance. L'été est passé à toute vitesse. Les enfants savent voler et nous avons été copieusement photographiés. Les premiers frimas s'annoncent, il est temps de repartir. Me revoici un an après. Je ne sais pas ce qu'il s'est passé ici pendant l'hiver mais nombre d'arbres sont tombés. Les points d'eau disparaissent sous les débris. Beaucoup de mares sont troubles. De mon nid, il ne reste que quelques traces. Dans cette région bénie, les petites filles m'ont préparé des petits tas de branches et de brindilles. Ces ressources ont été repérées par les autres cigognes dont le nid aussi est détruit. Pas de dispute cependant, l'une après l'autre nous prélevons une branche ou brindille et allons la placer dans le nid avant de venir en chercher une autre. Mon compagnon, toujours méfiant vis à vis des humains est allé chercher en rase campagne de quoi compléter notre nid. Nous avons réussi un bel objet mais je n'ai pu pondre qu'un seul œuf. Il faut bien sûr que je me remplume avant la migration, hélas aux dépends du bébé. Au moment du départ, l'oiselet a encore du duvet et n'est pas capable de voler. Mon compagnon est déjà parti, je suis restée, l'une des dernières et je suis très nerveuse, je ne peux retarder encore mon envol mais comment abandonner mon petit ? Mes amis bagueurs s'en sont aperçus et sont venus le chercher, je les ai suivi jusqu'à ce qu'il le mette dans une cage immense avec abreuvoirs, mangeoires et camarades ! Soulagée, je pique vers le sud à tire d'aile. Encore une année passée, mon nid est intact et la nature a effacé les dégâts de l'année passée. J'entends le chant réjouissant des grenouilles, annonçant les festins à venir. Une à deux semaines après mon arrivée, toujours pas de compagnon. Sans progéniture, j'ai plus de temps pour explorer les environs mais je suis jalouse de tous ces œufs qui éclosent ! Cette fois-ci personne n'est monté sur le toit : pas de bébé à baguer. Je souffre, je suis blessée. J'ai pris mon itinéraire habituel mais en survolant l'Ukraine, plus de champs à perte de vue ou de coquets petits villages : des ruines, des champs brûlés, des gens affamés qui pourraient s'en prendre à nous ! Qui nous ont tiré dessus ! Mon aile gauche est touchée, l'aile droite fatigue et me dévie de ma trajectoire. Je faiblis et me pose de plus en plus souvent sur les poteaux régulièrement espacés le long des routes. Je sens que je n'atteindrai pas mon nid. Pourtant l'air est doux, les nids que je rencontre sont remplis et mes congénères m'encouragent en craquetant à qui mieux mieux. Je n'y arrive plus et m'écrase lamentablement à côté du poteau que je visais. A la limite de l'évanouissement, j'entends un crissement de pneus, des exclamations étonnées. Je sens qu'on me touche, les dernières paroles qui me parviennent sont : "Regarde, elle est baguée, il y a un numéro à appeler".  

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  7. Rentrée 2020

    07 octobre 20233 minutes

      Sans doute, l'une des rentrées les plus difficiles de ma carrière. Une rentrée qui entremêle tristesse et joie, inquiétude et espoir. Dans ma clase unique de vingt-huit élèves, tous ont perdu un proche, une grand-mère, un père et pour Thomas, sa petite sœur Ernestine. A leur âge, ils sont passés à autre chose mais quand je fais l'appel, j'égrène en for intérieur, la liste des victimes de la COVID. La commune est venue remplacer les traditionnelles tables de deux par des tables d'une seule personne dès le mois de mai dernier. La plupart des parents portent soigneusement le masque et j'ai hésité à suivre les règles ou non. J'ai transigé sur un port de masque décontracté qui laisse deviner mon sourire. Les huit CM2 de l'année dernière, partis au collège dans la petite ville d'à côté, ont laissé la place à six jeunes CP. Tous frères ou sœurs d'enfants que j'ai déjà eu. Une seule nouvelle famille est venue s'installer pendant les vacances. Des lyonnais qui habitaient un appartement dans le quartier de Caluire et ont eu beaucoup de mal à supporter le confinement. Ils ont deux enfants : Quentin en CM2 et Léa en CEA. Léa, une jolie petite pipelette, discute allègrement avec Anne et Maëlle. Quentin s'est isolé sous le grand tilleul au fond de la cour. Je suis désolé pour lui. Les quatre autres garnements du CM2 s'entendent comme larrons en foire et se retrouvent aux entrainements de rugby. D'après sa fiche, Quentin serait plus attiré par le foot... Je sens que j vais devoir jouer les médiateurs.                 Bien qu'il soit déjà huit heure cinquante, nous ne sommes pa encore entrés en classe. Les parents veulent tous me parler de leur confinement, de leur angoisse d'une reprise du virus à l'automne. J'essaie de les rassurer mais je pense moi aussi que ce virus n'a pas dit son dernier mot. J'ai anticipé cette possibilité et j'ai déjà créé la classe numérique avec ses cinq pages, une par niveau et j'ai saisi les noms de mes vingt-huit élèves. Par contre, je n'ai rien communiqué aux parents, j'aimerais tellement qu'elle ne serve pas ! Vis à vis des parents et des enfants, je surjoue la confiance et parle même d'organiser une sortie d'école en octobre, pour la récolte des châtaignes !                 Au-delà de la cour, je vois le maire et deux adjoints se diriger vers nous. Vite je sonne la cloche. Les parents comprennent et quittent la cour tout en continuant d'échanger leurs craintes. Les enfants entrent en classe et s'installent à leur place, par habitude. Même les CP savent où s'asseoir. Les deux places restées libres sont évidemment pour Léa au troisième rang et pour Quentin au premier. Les élèves sont à peine assis, qu'on frappe à la porte. "Entrez". Les élèves se lèvent aussitôt et Monsieur le Maire, bardé de son écharpe, entre. Nous nous serrons la main de façon très formelle (comme vous le savez depuis la rentrée deux mille seize, nous ne nous apprécions pas). Je l'invite à parler.

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  8. Enfin !

    16 septembre 20233 minutes

    Enfin, nous partons pour l'aéroport ! Déjà deux fois, l'agence nous a appelé pour reporter la date d'arrivée ! La première fois une histoire de visa en retard (comprendre qu'un bakchich manquait quelque part ou n'avait pas été bien estimé…). La deuxième fois un vaccin devenu obligatoire pour l'entrée en France à cause du premier report ! Mais là, c'est aujourd'hui ! Nous sommes prêts, plutôt trois fois qu'une et nous sommes partis bien à l'heure. En fait nous étions si anxieux et nous avons prévu tant de marge sur la marge que nous sommes arrivés plus de deux heures en avance. Nous avons attendu dans le grand hall des arrivées, incapables de nous détendre. Les yeux fixés sur le tableau des horaires, redoutant jusqu'au dernier moment un retard supplémentaire ! Enfin, Vivianne, notre interlocutrice depuis les 6 ans que nous avons emprunté le sinueux chemin de l'adoption est arrivée en avance (une avance raisonnable de vingt minutes) et son bavardage professionnel et bienveillant nous a aidé à passer les dernières minutes. Viviane nous a emmené dans un petit salon privé, prévu à cet effet. Nous apprécions de ne pas être mêlés à la foule des voyageurs arrivant et de tous ceux venus les chercher. Malgré l'invitation répétée de nous asseoir, nous restons debout, tendus, face à la porte. Enfin ! la porte s'ouvre et une hôtesse de l'air entre en tenant par la main un petit garçon. Notre petit garçon ! Elle est suivie de deux hommes en uniforme, à l'air sévère, qui s'interposent entre l'enfant et nous. Ils ne parlent pas français et nous tendent une liasse de papier de façon insistante, presque menaçante. Vivianne, qui a l'habitude, prend les choses (et les liasses) en main. Elle nous indique les bas de page et les cadres où nous devons signer. Elle trie les papier en deux exemplaires, l'un pour les douaniers qui s'en saisissent et disparaissent sans le moindre signe de politesse, et l'autre pour nous. Elle le garde en main en constatant que nous ne regardons que notre fils. L'hôtesse de l'air s'est éclipsée sans que nous ne nous en soyons aperçu. Vivianne s'est reculée discrètement dans un coin. Enfin, nous sommes face à face. L'enfant nous regarde avec intensité et confiance, pas de crainte apparente mais pas de sourire non plus. S'il n'avait pas que trois ans, nous penserions qu'il est sur son quant-à-soi. Je m'accroupis pour être à sa hauteur et lui tend les bras. Un sourire hésitant aux lèvres, il s'avance. Il s'arrête à une courte distance et se concentre puis avec application et une prononciation hésitante, il nous déclare : "Bonjour, je m'appelle Mani. Je ne parle pas bien français. Je vous aime". Je le serre dans mes bras très fort, entre rires et larmes, je lui réponds "moi aussi je t'aime, moi aussi". Vivianne se racle doucement la gorge, il es temps de quitter cette pièce. Mon mari moins démonstratif est lui aussi très ému. Il prend Mani dans ses bras et lui demande : "tu viens voir ta nouvelle maison ?". Mani hoche la tête avec ravissement. Au moment de partir, je récupère les papiers officiels et cherche une valise ou un petit sac, mais non, il n'y a rien. Mani est venu avec seulement les vêtements qu'il a sur le dos. Comme j'ai hâte de lui montrer sa chambre, ses premiers jouets et ses premiers vêtements. Pendant le trajet en voiture, Mani ne dit rien et regarde tout, il se tord le cou pour suivre des yeux un bus, une trottinette, une sortie d'école. A bout d'émotions il s'endort et nous arrivons à la maison. Enfin

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  9. Lettre sur l'exposition coloniale de 1931

    08 août 20232 minutes

    Chère Marguerite, J'ai tant de choses à te raconter et si peu de temps ! Tu vas regretter de t'être moqué de la radinerie de Marcel. Figure toi qu'il avait 2 billets pour l'exposition coloniale ! Nous y sommes allés dimanche, il est passé me prendre à 7h, imagines-tu comme j'ai dû me dépêcher. Mais il avait raison. Quand nous sommes arrivés, pour l'ouverture, une belle file d'attente était déjà constituée. Mais ce n'était pas ennuyeux, déjà, nous pouvions admirer les plus grandes constructions : minarets blancs, clochers bruns du temple d'Angkor. Les personnes parlaient entre elles, se recommandant tel ou tel stand. Une fois entrée, nous ne savions plus où donner de la tête, les couleurs, les odeurs, les bruits, le monde ! J'ai été éblouie, nous ne voyagerons jamais si loin et bien sûr jamais dans tant d'endroits différents ! De l'Asie à l'Afrique, de l'Amérique à l'Océanie. Nous avons croisé des dromadaires qui promenaient des visiteurs, nous avons goûté des jus de fruits étranges (mangue, kiwi : je ne suis pas sûre de l'orthographe) et mangé des plats dont nous ne connaissions pas les ingrédients mais tous parfumés ou épicés. Nous n'avons pas pu tout voir car pour entrer dans les pavillons, une attente plus ou moins longue était inévitable. Nous avons privilégié les colonies françaises (quand même) : les Antilles et l'AOF. Dans ce bâtiment, des colons venaient nous parler de leur vie là-bas et cela semblait paradisiaque : de grandes maisons, des serviteurs souriants, des possibilités de promotions rapides. M. Dupont connaissait Marcel (j'ai découvert que c'est lui qui avait procuré les billets à Marcel, finalement tu as peut-être raison pour la radinerie) et avait préparé tout un dossier pour un contrat de travail au Soudan. Imagine ma surprise ! Marcel avait l'air de penser que je serai enthousiaste et ravie. Je dois reconnaître que j'avais un peu d'appréhension. M. Dupont nous a retenu à dîner au souk reconstitué près du lac Daumesnil et nous avons pu ainsi profiter des éclairages féériques à la nuit tombée. J'aurais tellement aimé partager cette journée avec toi. Depuis Marcel parle de plus en plus d'émigration et je suis perplexe. M. Dupont a promis d'inviter mes parents à l'exposition et si tu es rentrée, je pourrai t'avoir un billet aussi. On peut dire que le gouvernement soigne les candidats à la colonisation ! J'ai hâte d'avoir tes impressions et tes avis. Je t'embrasse Charlotte

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